Révélations, par Anna

Il est recommandé, pour comprendre ce texte, de commencer par lire celui-là.

Une semaine plus tard, enquête effectuée, j’ai donné rendez-vous à mon bel effeuilleur dans un bar tranquille. C’est le meilleur compromis entre le besoin de discrétion des clients et mon envie d’éviter le bulldozage de mon bureau par un primate en colère.

J’avais déjà commandé un whisky quand il est arrivé. En retard, Igor, hagard, la chemise en bataille et le teint cireux, craignant sans doute les nouvelles, avec raison. C’est que je ne m’étais pas ennuyée, pendant cette semaine ; il y avait matière, pas de problème.

Il a demandé un martini sec et n’a plus prononcé un mot avant de l’avoir devant lui. Il en a bu une gorgée, puis a enfin osé me regarder dans les yeux et me demander :

“… Alors ?

- Alors vous aviez raison.”

Il s’est empourpré et a repris une gorgée avant de murmurer :

“Racontez-moi.

- Je peux même vous montrer.”

J’ai posé devant lui les clichés de la semaine. Rien que de très habituel pour moi. Une femme s’envoyait en l’air avec un homme, dans toutes les positions possibles, et dans plusieurs décors : chambres d’hôtel, locaux de son entreprise… Banal. Très banal. Bien entendu, pour les clients, c’est autre chose. Ils ont beau la soupçonner (pourquoi m’engager, sinon ?), avoir sous le nez la preuve de l’infidélité de son conjoint, ça fait mal. Je l’ai vu passer du rouge au blanc devant les premiers clichés, et je me suis félicitée in petto de ne pas lui avoir donné rendez-vous dans mon bureau. Arrivé à la fin de la pile, ses joues ont viré au vert, il n’a eu que le temps de se ruer aux toilettes pour y vomir son martini.

Petite nature. J’étais quand même contente de ne pas devoir nettoyer la moquette.

Il se passa quelques minutes avant qu’il revienne poser ses charmantes fesses sur le tabouret à côté de moi. Tremblant comme une feuille, il faisait peine à voir.

“Écoutez… Combien je vous dois ?

- Avant de discuter tarif, j’ai une proposition à vous faire.”

Je me suis tue, attendant la lueur dans ses yeux qui m’indiquait qu’il m’écoutait de toutes ses oreilles.

“J’ai suivi Katia toute la semaine. J’ai pris des photos des moments qui pouvaient vous intéresser, mais je l’ai épiée des journées entières, j’ai écouté ses conversations au bureau, pendant les repas… Je crois m’être fait une assez bonne idée de son caractère.

- Continuez.

- C’est une femme à poigne, une femme qui aime les défis. Elle a dû adorer vous séduire ; pensez donc, un strip-teaser ! Puis vous avez lâché votre boulot, pris un job à la manque qui ne représente rien pour vous, acheté des costumes gris et des cravates quelconques, bref, vous vous êtes éteint. Vous ne représentez plus rien d’excitant pour elle, elle vous croit à sa botte quoi qu’il arrive. Mais si vous lui montrez que vous aussi pouvez aller voir ailleurs, elle voudra vous reconquérir et laissera tomber l’autre andouille.

- Je n’ai pas envie de la tromper.

- Qui vous parle de le faire pour de bon ? Ce qui compte c’est qu’elle croie que vous avez rencontré quelqu’un d’autre.”

Son regard était vide. Bon Dieu, il fallait tout lui dire, à ce garçon.

“Ce n’est pas compliqué, tout de même ! Des coups de fils mystérieux, du rouge à lèvre dans le cou, des photos compromettantes…

- Mais qui pourrait m’aider à lui faire croire ça ?”

En voilà un qui a réalisé le vœu de Jacques Brel. Je me suis contentée de sourire.

“Vous ?

- Moi. J’ai enquêté sur assez de vrais adultères, je devrais pouvoir en mettre un faux en scène. Qu’en dites-vous ?”

À suivre…



Ce texte est la participation d'Anna au diptyque 5.3. Il s’agissait d’écrire un texte inspiré par la photo ci-dessus, prise par Bladsurb.