Vicky, par Lyjazz

"Vicky ! Hey, Vicky, par ici !

Enfin te voilà…. tu en as mis du temps !

Tu nous remets un martini rouge avec tranche et un campari ?

Ah, et tu n'oublies pas les olives, hein ?

Tu sais que tu es toujours la plus belle ? Oui, je ne blague pas, tu es la serveuse la mieux roulée de la ville. Et tu as vu comme il te reluques l'Ours là-bas ? On dirait qu'il te surveille. Tu l'as engagé comme garde du corps ? Ah ah, je parie qu'il n'est même pas capable de faire mal à une mouche. C'est un minable, un pleurnichard.

Ça te met en colère que je te dise ça ?

Ah, non, tu vas chercher les verres ?

Qu'est-ce que tu en penses, toi ? Du gros, là ? "

Moi, je ne réponds rien. J'observe. J'écoute. Je laisse Mohammed faire son cinéma. Je ne veux pas qu'il sache ce que je fais là. L'Ours, il me plait bien, avec son air débonnaire et bourru, calme en dehors mais écorché vif en dedans. J'aime bien l'idée qu'il s'occupe de Vicky. Parce que cette fille a tellement bourlingué, elle est tellement à vif, que c'est justice qu'elle ait un chevalier servant.

Justement il se lève et va vers elle. Puis il l'accompagne vers les toilettes. Elle se tient le ventre.

Ah, les femmes, leurs faiblesses du ventre ! Je lève les yeux au ciel, enfin, au plafond ici.

Le bar est en sous sol. Mais on s'en fout, c'est un bar de nuit et personne ne vient là pour regarder le ciel. Musique et beuverie, c'est tout ce qu'il y a dans le coin.

Ce soir-là, c'est l'Ours qui m'a raconté plus tard, la miss Vicky elle a eu mal au ventre toute la soirée. Des crampes au bas ventre. Puissantes et assez sérieuses. Elle se pliait en deux, elle disait que ce n'était pas les règles, mais qu'elle avait mal depuis quelques temps.

Et puis rien ne la calmait.

Elle mettait la musique plus fort pour s'abrutir.

Seulement ça finissait d'abrutir les clients aussi, qui devenaient un peu plus violents, l'alcool aidant.

Et elle n'arrivait pas à maîtriser toute cette population.

A un moment on a bien cru que les verres allaient se mettre à voler. Sur les tables violettes les assiettes d'olives étaient presque vides, il n'y avait plus que les tranches de citron au fond des verres.

bladsurb_M_m.jpg

Mohammed, qui professait une foi musulmane, se lâchait quand il venait et buvait de l'alcool, qui le rendait agressif.

Il s'en est pris à Vicky. Il ne comprenait pas pourquoi elle l'avait largué. Il criait, disait qu'elle était son meilleur coup.

Les crampes se sont faites si fortes qu'elle a dû rentrer chez elle. Juste au moment où les plateaux se faisaient renverser et les verres tombaient.

L'Ours s'est chargé de la ramener. Pliée en deux dans la voiture.

Elle venait de rompre avec Mohammed.

Et ce soir-là son corps finissait le boulot : elle expulsait son stérilet.

ooo

Ce texte est ma participation au diptyque 5.3, organisé par Akynou.

Il s'agissait d'écrire l'histoire inspirée par cette photo de Bladsurb.