On a laissé tombé

Ça prenait une mauvaise tournure. Bien sûr, la CADEMI* était entièrement fautive. Nominer deux professeurs sur un seul poste, cela ne pouvait que déstabiliser les apprentis vauriens. Décider que le coupe-jarret spécialiste des cinquièmes années devait se retrouver devant les petits brigands de deuxième année alors que l’autre – mieux armé avec les minots – prendrait sa place, c’était franchement idiot. Tout le monde en convenait : les boss de l’école, le chef de district, les deux profs… une décision porte nawak, digne du plus obtu des ronds de cuir. Colères ils étaient.

Nous, les parents, on voyait ça d’un sale œil. C’est pas comme ça que nos petiots allaient passer haut la main au collège des mauvaises intentions, qu’ils apprendraient la conjugaison du larcin, le calcul des mauvais coups, la grammaire de l’arnaque, la géométrie du braquage. Notre revendication était simple : rendre aux petits le prof de deuxième année, et aux grands celui de la cinquième. Ça gênait qui, ça gênait quoi. On a fait un communiqué adressé aux marlous de la presse, on a passé des coups de téléphone. On en a même parlé sur un bloug. Tout le monde renchérissait : « Mais qu’est-ce que c’est que cette connerie ! Ça déconne grave à la Cademi. » Alors, du coup, avec quelques parents les plus remontés, on a occupé l’école.

Le parrain, quand il a reçu le fax lui apprenant ça, il a pas été content. Il a convoqué le boss de l’école, pour lui remonter les bretelles. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le dialogue débutait mal. Mais on s’y attendait. On le connaît le Big Boss. Il a pas l’habitude de faire dans la dentelle. On n’a pas fait trop attention. Lui, les mômes et les parents, c’est pas son truc. Ce qu’il veut, c’est une administration le petit doigt sur la couture du pantalon. Et que ça avance droit ! Pas une tête qui dépasse. On n’avait pas l’intention de l’écouter. Alors là, il s’est fâché.

« Comment ? a-t-il tonné. Mais vous zêtes qui pour me dire ce que je dois faire. Et depuis quand la Cademi est-elle gouvernée par la rue. Depuis quand les parents se font-ils du souci pour leurs mômes. Ce sera des voleurs médiocres, c’est tout ce qu’on demande. Vous voudriez quand même pas qu’on les rende intelligents et cultivés en plus. Pour ça, y a des écoles privées. Et c’est largement suffisant. Non mais je vous en foutrais moi des occupations de locaux. Faites- moi sortir cette racaille et plus vite que ça. Je suis pas à votre service moi. Ma décision est irrévocable. »

Irrévocable, irrévocable, c’est lui qu’a pété un câble. C’est quand même ses services qui ont fait une connerie. Et qui en plus, pour évier de se faire engueuler, lui ont raconté des calembredaines. Et c’est ki ki trinque ? Nos mômes.

On a bien été obligés de se rendre compte qu’on le ferait pas changer d’avis et qu’on n’aurait pas beaucoup d’aides des politiques dans cette bataille. On pouvait pas non plus maintenir les mômes dans l’expectative. En même temps, on sait qu’on aura d’autres batailles à mener. Et des plus importantes. Alors on a rien dit. On est sortis de l’école la tête haute.
Mais vous en faites pas ! on l’a à l’œil !

Rues de Paris

(*)Corporation Aigrefine Des Enseignements Malhonnêtes Infantiles