Des rives sur le Doubs (1)

J’ai quitté Paris mercredi, en tout début d’après-midi. J’avais rendez-vous à la gare de Lyon, sous la grande horloge près du portillon… Enfin, pas tout à fait. Lorsqu'on arrive maintenant à la gare, via la ligne 14 du métro, on débouche dans une grande salle souterraine qui donne accès directement aux voies. En un sens, c’est très pratique, on gagne un temps fou et de nombreux mètres de marche. Mais c’en est fini de l’ambiance hall de gare, et des rendez-vous sous la grande horloge…

Le voyage a été sans histoire, un TGV, un petit jeune à côté de moi qui a passé son temps à manger et à dormir. J’en aurais bien fait autant, mais j’étais trop à l’étroit. J’ai donc mis les écouteurs de mon ipod dans mes oreilles et j’a écouté Paula Jacques et son émission "Cosmopolitaine".

Paula est une vieille amie, même si elle ne le sait pas. J’écoutais déjà ses émissions quand j’avais à peine 20 ans. Et elle m’emmenait sur les sentiers aventureux de la littérature. J’aime sa voix, j’aime sa façon de lire les extraits des œuvres qu’elle nous a dénichées. Je me souviens aussi de son arrestation pour avoir loué un appartement à un homme dont elle était ou avait été amoureuse et qui se révéla être memebre d'Action directe. Je me souviens en avoir été révoltée, comme si une femme devait tout épouser de l’homme qu’elle aimait, y compris les mauvaises causes. Qui écoutai Paula ne pouvait pas l’imaginer dans un mouvement utilisant la violence.

A Besançon, j’ai retrouvé, sur le quai, des camarades, les responsables du syndicat. J’en avais croisé de nombreux gare de Lyon, aperçu un certains nombres dans le wagon, mais personne ne faisant mine de me reconnaître, je ne m’étais pas manifestée. Voyager seule me faisait du bien… Il faisait beau, l’air était étonnement doux pour la saison. Nous avons suivi les consignes : prendre le bus 10 jusqu’à la station Granvelle. Nous avons traversé des quartiers qui m’ont semblé très verts, très boisés. Avec la lumière déclinante dans les feuilles d’automne, la balade était plaisante. Et les usagers du bus plutôt amusés par la troupe que nous formions. Nous avons traversé le Doubs et sommes entrés dans la ville ancienne. Rues piétonnes, maisons fleuries, places pavées. Je me suis dit que ce serait dommage de rester enfermée en Congrès sans trouver le temps de visiter l’endroi.

Granvelle, tout le monde descend, enfin tous ceux de notre groupe, au grand soulagement des autres usagers qui retrouvaient leurs aises. Devant nous, au milieu de marroniers et de platanes, couverts d’or, les manèges et les flonflons d’une fête foraine grandeur locale, odeur de pommes d’amour et de gauffres… Nous traversons la place et nous pénétrons dans la salle Proudhon ou sera plus tard servi le buffet et où, pour le moment, on nous attribue notre chambre d’hôtel.



D’après les papiers reçus, nous ne devions pas être à plus de dix minutes. Mais je suis affectée à l’Ibis Centre, refoulée hors de la boucle du Doubs où est cantonnée la vieille ville, et j’en ai pour une trotte à pied. Me voilà dehors, avec pour tout viatique un plan et ma valise, et vogue la galère. Heureusement, il fait beau. Je râle comme un putois. De toute façon, dans l'état dans lequel je suis, tout me fera râler. Je ne serai bien que seule. Ce qui n'est pas le meilleur état d'esprit pour aborder un congrès… le cœur au bords des larmes et plein de colère… Au bout de vingt-cinq minutes sur des trottoirs inégaux, ce qui rend la petite valise rouge à roulettes franchement agaçante tant elle tangue, elle se bloque, elle se retourne – mais putain, il encore loin ce foutu hôtel –, je retraverse le Doubs et j’admire le somptueux coucher de soleil. Décidément, Besançon a décidé de me sortir le grand jeu. Je sors mon appareil photo et mitraille le paysage… Puis je trouve l’hôtel, prends possession d’une de ces chambres confortables mais froides et impersonnelles. Je soupire en constatant qu’en plus, il n’y a pas de baignoire mais une cabine de douche, dépose mes affaires et repars vers la salle Proudhon. Je meurs de faim.


A droite, le truc rond, c'est mon hôtel…


Sur le pont, je m’arrête à nouveau pour prendre de nouvelles photos, puis devant la préfecture et la Banque de France. C’est une valeur sûre, la banque de France, elle est toujours dans de très beaux immeubles… Un peu plus loin, une porte cochère attire mon attention. Elle semble receler des trésors gardés par deux têtes de lion sculptées à la mine patibulaire…


La préfecture

J’arrive enfin à la salle, je suis fatiguée. Avant le débat du soir, c’est dîner debout : un buffet de produits régionaux nous attend. Charcuterie, pains, fromages, vins… tout est un régal. J’ai goûté aux divers saucissons, notamment celui mariné dans du vin jaune, au jambon blanc, au jambon de pays, à la morteau, aux saucisses de Montbelliard, aux rillettes locales, au pâtés de campagne, au comté d’automne, d’hiver et d’été, aux goûts fort différents, au vacherin, à la cancoillotte, etc. Tout est tentation à laquelle je succombe avec bonheur. Aïe maman, heureusement que je ne fais pas de régime. Heureusement parce que je m’ennuie à cent sous de l’heure. Dans ce genre d’assemblée, je ne sais pas me lier. J’observe les gens qui se retrouvent, se congratulent, passent de l’un à l’autre tout en étant incapable d’en faire autant. Ça me pèse… et puis j’en ai marre d’être debout. Mon dos me fait mal, mes pieds aussi…

Enfin, on annonce que le débat commence et je vais m’affaler dans la salle aux côtés d’un de mes camarades que j’ai fini par retrouver. L’organisateur nous a annoncé une surprise. Elle sera hilarante. Des scénettes de la compagnie Gravitation, travaillées et jouées en commun avec des Rmistes et qui dénoncent la mondialisation et la société de consommation à outrance. Les textes sont à hurler de rire, acide… c’est du vitriol. Même les guignols sont hyper soft à côté de ce que nous entendons. Deux « sœurs », les Raspail, nous proposent pour notre maison et notre confort des vieux qu’ils ont recyclés pour nous. Au lieu de nous acheter un lave-vaisselle, elles nous conseillent de prendre Yolande, par exemple, 80 ans, neuf enfants, ce qui fait 11 assiettes par repas à laver, 22 par jour, 154 par semaines, etc. C'est dire qu'elle est une grande experte en laveries en tout genre. Silencieuse, économe, encore souple de l’échine, on peut sans problème la ranger dans le placard sous l’évier. Il y a aussi l’irrascible Germaine, parfait chien de garde, capable de vous faire fuir le plus endurci des témoin de Jéhovah, livrée avec sa sonde, garantie sans saleté et sans odeur, mieux qu’un chien assurément… La deuxième scénette, sur le don d'organe est moins violente, mais au début de celle-là que je me suis souvenue que j'avais de quoi filmer…



Le débat qui suit, pourtant intéressant (comment les médias relatent les conflits sociaux) me passionne nettement moins, la faute à un de mes confrères qui goûte peu la critique, pourtant fort pertinente, d’un représentant d’Acrimed, et qui du coup l’agresse. A chacune de ses interventions, il brille par sa langue de bois (nous ne sommes pas coupables, et pas responsables non plus). Mon voisin et moi le trouvons fatigant et nous nous le disons sans retenue jusqu’à ce qu’une jeune fille, assise devant nous avec sa mère se retourne, agacée, pour nous dire tout le mal qu’elle pense de notre attitude. Je l’envoie paître, mais je la comprends. Il semble que ce soit la fille de l’orateur… Oups ! Pourtant, je ne retire pas un mot de ce que j’ai dit.

Le débat terminé, je reprends le chemin de l’hôtel en parlant méthode d’apprentissage de la lecture avec un confrère, qui a, comme moi, trois enfants. Dans ma chambre, j’allume le poste de télévision et m’affale sur mon lit. Je zappe, regarde les infos sur itélé, puis vais prendre une douche. Je me couche, regarde un film, tente désespérément de dormir. Chose que je n’arriverai à faire qu’aux alentours de 3 heures du matin. J’ai laissé à Paris mes filles et mon mari, mais pas mes angoisses…