Des chateaux en Espagne
les routes cisterciennes

Des chateaux en Espagne
les routes cisterciennes

Des chateaux en Espagne
les routes cisterciennes

Laure
Photos : Laure Colmant
24 mai 2016
Tome 5 - 17 avril 2004

Il faut savoir quitter la plage et s’enfoncer dans les terres pour découvrir des paysages magnifiques (et plutôt verts au printemps), des villes historiques et la route des cisterciens semée de couvents. Aujourd’hui, on visite Montblanc et Poblet.

Ce matin, nous nous levons assez tôt – 9 h 30 c’est tôt pour des vacances – car nous partons en excursion. J’ai décidé que nous ferions une incursion à l’intérieur des terres. Le hic, c’est que je me lève avec un mal de dos plus tenace que jamais. Je serre les dents, mais je souffre terriblement. Ce qui me donne une humeur de chien. J’aboie et je mords le premier qui me tend la main… Pour couronner le tout, les filles se sont levées en mode infernales. Elles n’en font qu’à leur tête. Elles m’énervent…

Il fait un temps magnifique. Une journée pour aller à la plage, tant pis, on ira demain…

Sur les pavés de Montblanc

Enfin, nous montons en voiture, cap sur Valls et Montblanc, sur la route de Lleida. Lleida, une des rares chansons en catalan, dont je connaisse le début et qui me rende totalement nostalgique. Agustin, un ami à moi, la chantait au Barlovento, à Salou. A la ciutat de Lleida, i a una preso, petita, bonica… Je ne garantis pas mon catalan.

Montblanc, cité catalaneAu fur et à mesure que nous nous enfonçons dans les terres, le ciel se couvre. Arrivés à Montblanc, le vent est fort, le ciel est gris et je suis bien contente d’avoir forcé tout le monde à prendre les impers. Je gare la voiture près des murailles qui entourent la vieille ville. C’est impressionnant de beauté. Elles ont été construites en 1336, à la demande du roi Pere III le Cérémonieux. Ce qui est amusant, c’est que certaines tours sont habitées, les murs servent de point de départ de constructions de maison.En effet, au XVIIIe siècle, convaincue que les murailles ne servaient plus à grand-chose du point de vue strictement militaire, la ville les céda aux particuliers. Maintenant, beaucoup ont été récupérées et réhabilitées.

Nous passons la porte et nous promenons dans les ruelles, étroites, bordées de maisons aux fenêtres embalconnées. Nous tournons à droite, grimpons un petit escalier, puis à gauche et nous nous retrouvons sur le parvis de l’église Santa Maria la Major, magnifique. Je ne sais pas combien d’habitants compte Montblanc. La cité n’a pas l’air d’être très grande. Mais elle compte de nombreuses églises, celle-ci est vraiment la plus belle.

Nous arrivons sur le parvis en même temps que des femmes en robes longues et des hommes en costumes et nœuds papillons. Une noce se prépare. Nous faisons un peu tâche avec nos habits de touristes. Enfin, nous ne sommes pas en short ni savate de plage, juste décontractés… Mais nous nous incrustons un peu, pour voir et  admirer.

Montblanc, cité catalane

Ce qui me fascine le plus dans cette église, c’est sa hauteur par rapport à sa taille. Quand on entre à l’intérieur, on a l’impression d’une cathédrale tant elle est haute. Mais sa surface au sol est en fait très réduite. Elle n’a qu’une seule nef. Fin XIIIe, au début de sa construction, elle devait être beaucoup plus grande, mais une épidémie de peste noire qui dévasta l’Europe et la crise économique qui s’ensuivit fit qu’on revit le projet à la baisse. Je me demande cependant de quelle importance était, à l’époque, cette petite ville de province pour être à ce point touchée par une crise économique qui toucha l’Europe entière… En fait j’apprends qu’elle fut ducale, capitale de la région Conca de Barberà et, en son temps, l’une des plus importantes de la Catalogne. Les monarques catalans y séjournèrent plus que souvent.

Je n’ai pas vu l’orgue pourtant réputé en Catalogne. Mais je ne pouvais tout de même pas déranger la noce.

J’ai aussi lu dans un guide que la nuit du 16 juillet 1652, les troupes du roi Felipe fracassèrent la splendide façade gothique de l’édifice, qui fut remplacée, des années plus tard par l’actuelle façade de style baroque.

Montblanc, cité catalane

Comment peut-on savoir que cette façade gothique était si belle si on ne nous en montre ni un dessin ni une même une esquisse ? Si ça se trouve, c’était tout à fait quelconque. En tout cas, celle qui l’a remplacée est vraiment très belle. Même si le baroque n’est pas mon style préféré…

La place devant l’église est une vraie merveille avec ses galets de plusieurs couleurs formant des dessins et une date, 1786. Nous descendons un petit escalier qui longe une magnifique maison, la casa Josa. Elle fut la demeure des créateurs de la ville. La maison suivante, appelée Escrivanies Velles, est la plus ancienne de Montblanc. Elle abritait l’étude de notaire fondée par le roi Alfons 1er le Chaste. Y furent signés les actes de Cortes de 1333. A l’heure actuelle, c’est le musée de la région. Nous ne sommes pas entrés, il fermait.

En bas des escaliers, une petite rue nous mène sur la plaza Mayor. C’est une de ces places à arcades, vraiment charmantes et très animées que l’on trouve si souvent dans les cités anciennes. J’avise une librairie où nous achetons quelques cartes postales. Puis nous nous asseyons sur un banc pour admirer les maisons des alentours. Elles sont toutes très bien restaurées. La plus belle est celle qui abrite la Caixa tarragonesa, la banque locale, très importante dans toute la Catalogne et qui a fait restaurer cette antique demeure noble, la Casa Desclergues. De style gothique, elle est en avancée par rapport à la place. Au premier étage, deux grandes fenêtres donnent sur un immense balcon : l’endroit idéal pour se faire acclamer…

Nous quittons la place pour nous enfoncer dans les rues de la ville. Place de Catalogne, nous pouvons admirer une partie des tours des fortifications. L ‘une d’elles est en piteux état, elle a visiblement brûlé il n’y a pas très longtemps. Partout, des travaux de restauration. Certaines des maisons construites le long des murailles sont rachetées par la municipalité qui les démolit pour revenir à l’enceinte originelle. Un travail qui a commencé il y a déjà longtemps et qui prendra encore beaucoup de temps.

Montblanc, cité catalaneLes filles sont toujours aussi excitées. Lou écoute certaines de mes explications et pose de nombreuses questions. Elle s’intéresse. Mais elle a aussi envie de galoper à tort et à travers avec ses sœurs. Aucune d’elles ne vient quand on les appelle… Il faudra qu’on se fâche vraiment pour qu’elles se calment. Je n’ai rien contre le fait qu’elles aient envie de jouer et de courir, mais les voitures sont nombreuses et je trouve qu’elles vont vraiment très vite (les voitures, les filles, ça reste raisonnable…).

Nous sortons par une porte, rentrons par une autre, montons une allée et nous nous retrouvons sur un terre-plein qui domine l’église Sainte-Marie. La vue est magnifique. On embrasse du regard toute la vieille ville et la campagne environnante, la chaîne de montagne que nous traverserons tout à l’heure. Le ciel est changeant, de gros nuages, quelques pans de ciel bleu. Le tout n’est tout de même pas très engageant. Les cloches de l’église se mettent à résonner à toute volée, c’est la fin du mariage. Nous redescendons de notre perchoir et nous rendons sur la place de l’église d’où est déjà sortie toute la noce moins les mariés. Ils sont restés à l’intérieur pour faire une série de photos. Quand ils sortent enfin ils reçoivent une pluie de pétales de roses et de grains de riz. Tous ceux qui sont sur le parvis applaudissent à tout rompre et nous aussi bien sûr.

Montblanc, cité catalane

Bon, assez baguenaudé. Mon estomac crie famine. Il est urgent de trouver un endroit pour se sustenter. Nous reprenons nos pérégrinations. Nous nous retrouvons dans l’ancien quartier juif de la ville, juste à côté du centre. Ce quartier s’appelle le call. Il y a là de très belles maisons de style gothique.

Montblanc, cité catalane
El call de Montblanc, restaurant gatronomique

Dans l’une d’elles un restaurant. Nous décidons d’y entrer. Nous n’avons pas le temps de nous apercevoir de notre erreur que nous sommes accueilli par le chef lui-même et par une armée de serveurs, tous plus gentils et serviables les uns que les autres. Nous ne sommes pas dans un bar à tapas mais bien dans un restaurant gastronomique. Bon, nous décidons de faire une folie et de rester. Ventre affamé n’a plus toute sa sérénité. En tout cas il est nettement moins attentif au cri du porte-monnaie…

Le chef nous promet des biftecks et des « patatas fritas » pour les filles… Heureusement, parce que c’est à peu près la seule chose que je suis sûre qu’elles vont manger. Pour nous, un seul hic, mais de taille : la carte est en catalan et uniquement en catalan. Il n’y a pas même pas une version en espagnol. Alors comprendre ce qu’il y a sur la carte pour commander relève plus de l’art de la divination que de la recherche gastronomique. On nous dépêche un garçon qui parle un peu français. Nous arrivons à nous faire comprendre et à choisir un menu.

Nous nous régalons. En entrée, le Nôm prend une salade de morue et moi de thon. C’est ravissant, servi dans de superbes assiettes, un peu grande pour le contenu, mais il paraît que c’est le propre de la nouvelle cuisine… C’est en tout cas très bon. Je fais goûter à Lou et à Léone les oignons confits à la mode du chef, elles adorent, et les poivrons sublimement fondants, elles aiment nettement moins.

Ensuite, Le Nôm poursuit sur le poisson, mais je ne saurais dire ce qu’il a mangé. Cela avait l’air délicieux, il avait l’air très content. Il n’est pas capable de sourire s’il mange quelque chose qu’il n’aime pas. Pour ma part je prends un magret de canard à la confiture de mandarine. Un délice. Lou ayant du mal à finir son bifteck (énorme il faut dire), je lui mets un peu de la sauce à la confiture de mandarines, elle a adore. C’était si fin.

Par contre les desserts, un rien décevant. Une boule de glace avec des coulis différents. Très joli mais un peu jeune pour le prix. Il y a des limites à la sobriété.

Nous sommes sortis de là, le porte-monnaie raisonnablement allégé (95 euros pour nous cinq), mais assez heureux. Nous avons rejoint la voiture, nous promenant dans des rues devenues totalement désertes. Les boutiques fermées et les habitants devant leur propre repas…

Sous le ciel de Poblet

Nous quittons Montblanc, directions le monastère de Poblet, une des trois abbayes de la route cistercienne avec Santes Creus, que nous avons visité l’an passé et Vallbona de les monges que nous visiterons une autre fois. Pas plus d’un couvent à chaque séjour, telle est ma devise…

La route est belle, mais le temps plutôt moche. On se croirait en fin d’après-midi, alors qu’il n’est qu’à peine 15 heures. Pas de précipitation, de toute façon, les portes n’ouvrent que maintenant. Nous traversons les montagne de Prades, passons un col à au moins… 800 mètres de haut. Les villages sont beaux, posés ça et là dans un paysage couvert d’oliviers, de noisetiers (les meilleures noisettes du monde) et de vigne. Rien à voir avec la cote dévastée par les constructions. Ici, on prend visiblement soin de sa terre, de sa culture, de son passé. Ici, ce n’est pas pour les hordes touristiques qui se ruent sur les plages au mois d’août. Ici, c’est pour ceux qui font l’effort de venir.

Monastère de Poblet
Poblet surgit au milieu des vignes

Quelques kilomètres après Espluga de Francoli (j’adore ce nom), au détour d’un virage, nous apercevons les premières tours du convent. C’est amusant, mais je m’attendais à quelque chose de plus… massif. On m’a tellement parlé de la grandeur et de la puissance de Poblet. En fait, cela ne semble pas très grand, une dentelle de pierre posée au milieu des vignes… L’impression changera quand nous y seront.

Poblet est considéré comme un des monuments monastiques les plus importants d’Europe. Son nom vient du latin Popoletum (peupleraie). Construit entre le XII et le XVIIIe siècle (construit, agrandi, aménagé…), on y trouve l’histoire de l’architecture : le roman, le gothique, le gothique flamboyant et le baroque, cette dernière n’étant pas franchement la partie la plus réussie, ceci dit en dehors de toute considération personnelle sur ce style où se côtoient le meilleur et le pire.

Nous voici à l’entrée du monastère royale de Poblet. Pourquoi royal ? Suivez le guide… Hé ! vous qui trainez quelques mètres derrière, allez, pressez le pas. On ne va pas vous attendre cent sept ans.

Contrairement à Santes Creus, ce monastère est habité par une trentaine de moines. On ne peut donc pas le visiter librement. En attendant le départ de la visite guidée suivante, nous montons dans le musée du couvent. Les photos sont évidemment interdites. Ce qui m’empêche d’en faire n’est cependant pas l’interdiction, d’autant qu’il n’y a pas de surveillant, mais le manque de lumière. On y admire cependant des choses magnifiques, notamment des sculptures, des bas-relief, des poteries et des carreaux de faïence aux couleurs superbes.

Monastère de Poblet

Nous nous rendons au point de rencontre pour la visite où nous attend la guide. Elle nous annonce qu’elle ne fera ses commentaires qu’en espagnol (nous échappons au catalan, je vais pouvoir traduire pour ma petite famille) et que nous ne visiterons que certaines salles. Les autres étant utilisés par les moines, nous n’y avons pas accès. Ce qui semble assez logique mais un peu frustrant.

La première salle est haute de plafond, c’est une belle pièce où l’on respire encore des effluves de raisin ou de vin. Je glisse dans l’oreille du Nôm qu’elle a dû servir de cave avant d’être restaurée. La guide nous explique alors que cette salle fut d’abord un dortoir qui accueillait les convers (hermanos). Il y avait une différence entre les convers, qui travaillaient, et les moines qui se consacraient à l’étude et à la prière. C’est assez différent là encore de la communauté de Santes Creus où tout le monde suivait la règle de saint Benoît qui établissait un équilibre entre travail et méditation pour tous les moines (et non pas entre les moines). Plus tard la salle devint celle du pressoir (on produit du vin à Poblet et le couvent a son millésime) et l’on y fermentait le mou. Je suis assez étonnée que l’odeur soit restée après tant et tant d’années. A l’heure actuelle, c’est le parloir, là où les moines reçoivent leur famille, leurs amis.

Monastère de Poblet

Nous pénétrons dans le grand cloître, très beau. Une partie est d’inspiration romane, l’autre gothique. Mais les deux styles une fois de plus se marient dans la beauté, on ne fait même pas vraiment la différence. Sur les murs, sont accrochés les sarcophages des nobles dont les familles étaient les bienfaitrices du couvent : je te donne de l’argent et j’acquiers ainsi le droit d’être enterré chez toi. Les dessins se sont effacés car la pierre calcaire, très fragile, a subi l’érosion du temps. Il en va de même pour les colonnes et les chapiteaux dont les motifs végétaux (pas de représentation humaine ni animale chez les cisterciens, il fallait être sobre) se sont largement effacés. Heureusement, un important travail de restauration permet d’en jouir à nouveau.

Nous entrons dans les anciennes cuisines. Une grande salle avec une immense cheminée. En fait, à l’époque, la cheminée était centrale. Au fond, à droite, on aperçoit encore le passe-plat qui permettait de passer la nourriture aux moines dans leur salle à manger. Salle à laquelle nous n’aurons pas accès puisqu’elle est toujours utilisée. Nous nous contenterons de la regarder à travers la baie vitrée, et nous découvrirons que le couvert y est déjà mis pour le repas du soir…

Monastère de Poblet

En face du réfectoire, un petit bijou architectural, un petit temple qui abrite la fontaine où les moines se lavaient les mains avant d’aller manger. Lou me demande s’ils continuent de le faire maintenant. Se laver les mains ? Sans doute ma chérie, mais ici ? Je n’en sais rien. On entre dans une petite pièce appelée chauffoir, dont le nom est très explicite quant à son utilité. La guide nous rassure, à l’heure actuelle, les moines ont accès au chauffage tout au long de leur journée et non dans une seule pièce. La salle suivante est le parloir, elle jouxte la bibliothèque qui recèle, paraît-il, des pièces extrêmement rares mais à laquelle nous n’avons pas accès. Nous y apercevons effectivement deux moines qui y travaillent sur un ordinateur. Lou est presque étonnée de ne pas les voir se servir de plumes pour écrire… Elle me demande l’utilité du parloir et je lui explique qu’une des règles fondamentales de l’ordre était le silence et que les moines n’avaient pas le droit de parler, sauf dans cette pièce et dans la salle capitulaire. Pas le droit de parler ? Je ne serai jamais moine ! s’écrit-elle scandalisée…

La salle capitulaire est sans doute une des plus belle. Un joyau de l’architecture cistercienne. Mais elle est, hélas, fermée car toujours utilisée. C’est là qu’a lieu la réunion capitulaire de la communauté. On y lit chaque jour un chapitre de la règle bénédictine, on y commente l’actualité du couvent. Sur le sol, on aperçoit les pierres tombales des nombreux abbés enterrés là. Maintenant, ils sont inhumés dans un petit cimetière derrière le couvent. L’intérieur étant sans doute plein…

Nous pénétrons dans l’église. L’intérieur est magnifique, une sobriété toute cistercienne, pas de décor ni d’ornementation en dehors des sépultures royales, Poblet étant le panthéon de la monarchie catalane (d’où le monastère royal). Pas moins de huit rois de Catalogne et six reines y reposent. Les sépulcres en albâtres sont somptueuses. Mais impossible de prendre des photos. Je suis tombée en panne de pile avec mon numérique et je n’ai pas le flash de mon autre appareil. Il y a des jours…

Au pied de chaque monarque, la sculpture d’un lion, symbole de puissance. En 1825, lors de la sécularisation de la région (je ne savais même pas qu’elle avait eu lieu, et pourtant, Dieu sait si j’ai étudié l’histoire de l’Espagne), le monastère dû être abandonné. Il fut alors pillé et l’église dévastée. Les sarcophages furent ouverts dans l’espoir d’y trouver des bijoux de valeur (j’aurais bien aimé savoir si les pillards en avaient trouvé en fin de compte) et les os royaux furent répandus au sol. C’est ce qui s’appelle tomber bien bas. Le lion avait rabattu son caquet.

Enfin, on ne laisse pas de royales dépouilles traîner à terre fusse dans une église. Ils furent récupérés et envoyés à Tarragone.

Les premières restaurations eurent lieu dans le premier tiers du XXe siècle. Sous le règne de Primo de Rivera père ? La guide bien sûr n’en dit rien. Mais Miguel Primo de Rivera, père du peu glorieux José Antonio créateur de la phalange, était à cette époque capitaine général de Catalogne. En septembre 1923, avec l’appui du roi Alphonse XIII et des partis conservateurs il menait un coup d’Etat et créait la première dictature espagnole. Ce sont peut-être des choses qu’on n’aime pas rappeler.

Monastère de Poblet

Bref, en 1956, sous la dictature de Franco cette fois-ci, les dépouilles des rois catalans retrouvèrent leur place. Quand on sait la guerre que menèrent ces deux dictateurs contre l’autonomie de la Catalogne, contre la culture catalane (interdiction de la langue notamment), le soin pris des royales dépouilles est intéressant et presque paradoxal. Sans doute la protection de Poblet.

Depuis, les travaux de restauration n’ont jamais cessé et ils sont remarquables.

Mais si les sépulcres sont magnifiques, rien ne vaut le retable d’albâtre de Sarral. Sculpté au début du XVIe siècle, il marque l’arrivée de la Renaissance sur ces terres catalanes. La première rangée de statues représentent de nombreux saints cisterciens. Au centre, la plus grande est dédiée à sainte Marie de Poblet, patronne du monastère.

Ce que j’admire particulièrement, mais dont ne dit mot Mme la guide, ce sont les lustres en métal et les coupelles en verre bleu. Un comble de simplicité, de gigantisme et pour tout dire de beauté. J’aimerais bien en avoir de pareils chez moi. Mais il faut la pièce qui va avec et je n’habite pas un château, encore moins un monastère.

Au fond, par une porte, nous avons le droit de regarder, mais pas de visiter, la nouvelle sacristie, une immense salle d’architecture baroque et qui après toutes les merveilles que je viens de voir me semble totalement dénuée d’intérêt.

De l’autre côté, après être passés derrière le gigantesque retable, nous empruntons les escaliers qui mènent au dortoir des moines. Un monument à lui tout seul. La salle fait 87 mètres de long.n Le toit est soutenu par dix-neuf arcs qui s’appuient sur les consoles d’inspirations mudéjar (arabe). On ne se rend malheureusement pas bien compte de ces dimensions car la salle est coupée en son milieu par une cloison en bois. Depuis le XVIe, chaque moine dispose en effet d’une cellule individuelle chauffée. Cela fait donc longtemps que la règle cistercienne ne s’applique plus dans toute sa rigueur dans ce couvent et qu’on n’y exige plus le communitarisme total : tous les moines couchés par terre, sur des planches en bois, les uns à coté des autres. En plein hiver et sans chauffage, on comprend qu’ils n’aient pas revendiqué de cellule individuelle.

Si le dortoir communique directement avec l’église c’est qu’à 5 heures du matin, la première chose que fait le moine en se levant, c’est d’y descendre pour les premières prières. Chacun son boulot, mais faut reconnaître que le leur commence tôt.

Monastère de Poblet

Du dortoir, on accède au cloître supérieur. La galerie a disparu. Mais la promenade reste agréable. Et depuis un des angles, on aperçoit les quatre tours qui marquent les différents styles architecturaux du couvent : roman avec le campanile dont Léone voulait absolument voir les cloches ; gothique avec la coupole très joliment restaurée ; baroque pour le petit clocher et la lanterne au-dessus de la sacristie.

Monastère de PobletDu cloître, on pénètre dans une nouvelle salle, toute simple, dont je ne sais rien car occupée à prendre des photos, j’ai loupé les explications de la guide… On ressort par une autre porte et nous débouchons sur un escalier en pierre dont le seul intérêt est une rampe de fer forgé absolument incroyable. Elle représente un dragon dont la tête se dresse en haut des marches, dont chaque patte l’agrippe à la paroi et dont la queue représente un diable tout à fait convaincant. L’œuvre a été réalisée en 1982 par un artiste local, Ramon Martin « Biel » et a été forgée dans les ateliers d’Espluga de Francoli, la ville voisine, réputée pour ses forges. J’aime bien ce nom, je trouve qu’il sonne de façon étonnante. Bon je sais, je l’ai déjà dit. Espluga de Francoli… Je me demande ce que cela signifie…

On arrive enfin au réfectoire des converts qui, non seulement ne dormaient pas avec les moines, mais ne partageaient pas non plus leurs repas. Une vie monastique à deux vitesse visiblement. La salle fut transformée ensuite en cellier. Des canaux en pierre servaient à transporter le vin jusqu’aux tonneaux de bois. Ayant mal compris la guide, j’ai cru un moment que les canaux servaient à alimenter les converts en vin pendant leur repas. L’image de frère Tuck s’impose à moi.

La visite est passionnante mais tout de même trop rapide et il est impossible de traîner ni même de retourner sur ses pas, comme ce fut le cas à Santes Creus. Et puis il se dégage de l’ensemble une puissance politique qu’il n’y avait pas dans l’autre monastère. Les deux étaient pourtant également riches en terre, également puissant. A cause du manque de converts (on se demande pourquoi…), Poblet commença à acquérir de nombreux droits seigneuriaux sur les peuples et les territoires. Au XVIe siècle, Poblet exerçait sa juridiction sur sept baronnies qui réunissaient soixante villages et nommait les maires d’une dizaine de villes. Un pouvoir économique qui n’était peut-être pas celui de Santes Creus. En tout cas, c’est ce que l’on ressent à la visite de chacun. La mémoire des pierres… Tout ici suinte la puissance. Et si Poblet me subjugue, Santes Creus me charme.

Monastère de Poblet

Nous reprenons la voiture, direction Tarragone. Au fur et à mesure que nous nous approchons de la côte, le ciel se dégage. Il fait tout à fait quand nous arrivons en ville. Ma mère me confirme d’ailleurs qu’elle a eu beau temps toute la journée. Elle a même jardiné sur son balcon !

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